Il est minuit passé. Assise sur le canapé, Jeanne sirote un verre de vin en fixant le mur. Son mari dort déjà depuis longtemps. Elle repense à leur histoire qui a débuté il y a 15 ans : le coup de foudre, les papillons dans le ventre, les projets d’avenir. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une coquille vide. Plus aucune complicité, plus aucun désir. Juste la routine qui s’installe insidieusement.
Pourtant, elle reste. Comme des milliers de femmes et d’hommes en France. Pourquoi s’acharner et rester avec quelqu’un qu’on n’aime manifestement plus ? Tour d’horizon des non-dits d’une relation brisée.
Les raisons financières
Lorsqu’on évoque le sujet des divorces pour « incompatibilité d’humeur », la raison financière arrive souvent en tête. Et pour cause : une séparation, cela coûte cher ! Frais d’avocat, pensions alimentaires, partage du patrimoine acquis ensemble… Autant de postes de dépenses qui font parfois reculer. D’après l’Insee, le coût moyen d’un divorce en France est de 650 euros, mais il peut grimper beaucoup plus haut selon les situations (enfants, biens immobiliers, etc.).
C’est le cas de Julie, 37 ans : « Quand j’ai demandé le divorce après 1ans de relation, j’ai vite déchanté. Entre les frais d’avocat et la pension alimentaire que je dois verser à mon ex-mari parce qu’il gagne moins bien sa vie que moi, je me retrouve avec 200 euros en moins chaque mois. Alors qu’on avait acheté une maison et fait des travaux ensemble, je n’ai eu droit qu’à 40% de la valeur du bien immobilier. Bref, financièrement, le divorce a été une catastrophe pour moi. Si j’avais su, j’y aurais réfléchi à deux fois… ».
Le casse-tête du partage des biens
En effet, le partage des biens immobiliers acquis pendant le mariage est souvent source de conflit. La résidence principale est en général partagée à 50/50, mais ce n’est pas automatique. Et pour les résidences secondaires, placements ou biens professionnels, c’est au cas par cas. Résultat : des négociations interminables qui coûtent cher en frais d’avocat et fiscalité.
Les enfants
« On reste ensemble pour les enfants ». Combien de fois a-t-on entendu cette phrase ? Elle résume à elle seule toute la complexité des séparations lorsqu’il y a une famille. Par peur de fragiliser les enfants, de nombreux parents renoncent au divorce. Une récente étude de la Caisse d’allocations familiales (Caf) montre que plus de la moitié des parents en instance de séparation renoncent à divorcer officially, tout en menant des vies séparées.
Quid de la garde des enfants ?
La question de la garde des enfants est en effet cruciale. Depuis la loi de 2002, la résidence alternée est privilégiée. Mais elle n’est pas toujours possible selon l’âge des enfants, la situation géographique des parents ou leurs contraintes professionnelles. Résultat : des âpres négociations qui débouchent parfois sur des gardes classiques chez la mère dans 85% des cas. De quoi frustrer certains pères, qui renoncent alors à divorcer pour ne pas perdre le quotidien avec leurs enfants.
La pression sociale et familiale
« Qu’en diront les autres ? » Cette petite phrase anodine pèse parfois lourd quand vient l’heure de prendre la décision de divorcer. La pression sociale et les jugements sont en effet encore bien présents, notamment dans certaines régions ou communautés plus traditionalistes. Sans compter le regard de la famille et des amis, pas toujours tendre avec « celui qui brise le couple ».
C’est ce qu’a vécu Pascale, 44 ans : « Quand j’ai annoncé à mes parents que je quittais mon mari après 20 ans de vie commune, ça a été le drame ! Ils m’en ont énormément voulu, me répétant sans cesse que le divorce était honteux, que cela faisait désordre et donnait une mauvaise image. J’ai beaucoup souffert de leur rejet et des ragots du voisinages. J’habite dans un petit village, du coup tout le monde spéculait sur les raisons de notre rupture… ».
Le poids des traditions et des religions
Certaines traditions culturelles ou religieuses réprouvent également le divorce, ce qui peut influencer les couples. C’est notamment le cas pour les couples de culture musulmane ou de religion catholique pratiquante, pour qui le mariage est un engagement sacré devant Dieu. Sans compter les pays où le divorce peut encore être considéré comme une tare familiale, à l’instar de certains pays d’Asie ou d’Afrique.
Reconstruire sa vie : un défi de taille
Divorcer, c’est aussi devoir totalement réinventer son existence. Changer de logement, se réadapter au célibat, retrouver une autre personne… Tous ces bouleversements peuvent en effrayer plus d’un ! D’autant plus lorsqu’on a vécu de longues années en couple, qu’on a dépassé la quarantaine et qu’on a pris ses habitudes. « On sait ce que l’on quitte, pas ce que l’on va trouver », dit l’adage. Une incertitude difficile à gérer.
Peur de la solitude
La peur de se retrouver seul, notamment pour les hommes, est un frein majeur au divorce. Selon un sondage IFOP de 2016, 61% des hommes craignent de ne pas refaire leur vie contre 52% des femmes. Pourtant, les statistiques prouvent le contraire : en moyenne, les hommes se remettent en couple plus rapidement après une rupture que les femmes ! Mais cela n’empêche pas certains messieurs de s’accrocher par peur du vide affectif.
L’attachement au conjoint malgré tout
Même lorsque les sentiments amoureux se sont érodés avec le temps, il n’est pas rare de ressentir un attachement profond pour son ou sa partenaire. Après tout, cette personne vous connaît par cœur, a partagé une grande partie de votre vie et de votre intimité. Difficile dans ces conditions de tourner la page du jour au lendemain ! D’autant plus s’il n’y a pas de dispute, de tromperie ou de motif évident de rupture.
Le syndrome de la grenouille bouillie
La psychanalyste Esther Perel évoque le « syndrome de la grenouille bouillie » : l’histoire de la grenouille qu’on plonge dans l’eau froide d’une casserole et qu’on porte petit à petit à ébullition. Elle ne songe pas à sauter hors de la casserole, car la hausse progressive de la température lui paraît normale. Ce syndrome illustre bien la façon insidieuse qu’ont certains couples de sombrer dans l’indifférence et la routine, jusqu’à ne plus s’aimer. Mais comme la baisse d’amour a été très progressive, il est difficile d’envisager la rupture.
Le doute
Le doute est l’un des pièges classiques des relations de longue durée. On ne sait plus très bien si on est encore amoureux ou pas, si c’est juste un passage à vide ou si les sentiments se sont bel et bien érodés avec le temps. Plutôt que d’oser mettre le doigt sur le problème ou crever l’abcès en allant consulter un thérapeute de couple, beaucoup préfèrent rester dans le flou et le statu quo.
La peur d’affronter la vérité
Car reconnaître que l’on n’est plus amoureux signifierait devoir prendre une décision difficile : celle de quitter son conjoint après des années de vie commune. Un véritable tsunami émotionnel ! Beaucoup préfèrent donc remettre cette douloureuse introspection à plus tard… quitte à s’enliser dans une relation insatisfaisante. « Demain j’arrête de fumer ! », disait l’autre. On connaît la chanson.
L’espoir
Tant qu’il y a de l’espoir, on reste. C’est un peu la devise de nombreux couples en crise. L’espoir qu’en faisant des efforts, en renouant le dialogue, en s’offrant une « deuxième lune de miel », les sentiments reviendront aussi forts qu’avant. Ou que les problèmes du quotidien finiront par s’estomper, laissant place à une relation plus apaisée.
Le retour de flamme est-il possible ?
Les avis divergent sur la question. Si pour certains thérapeutes, raviver la passion est possible ; d’autres sont plus sceptiques. « Lorsque l’amour s’est éteint au fil des années, il est très compliqué de rallumer la flamme en claquant des doigts, déclare Nathalie, conseillère conjugale. Cela demande beaucoup de prise de conscience, d’efforts et de remise en question de soi-même de la part des deux partenaires. Et la plupart du temps, les couples arrivent à mon cabinet bien trop tard, quand le mal est fait depuis longtemps déjà… ».
La peur de l’après
Enfin, dernier grand motif de ceux qui s’acharnent à rester en couple : l’angoisse de l’inconnu et du lendemain. Que va-t-il advenir de moi financièrement ? Vais-je supporter la solitude ? Serais-je capable d’élever seul mes enfants ? Autant de questions angoissantes qui bloquent certains dans une relation devenue toxique. Sans compter la difficulté de tourner la page après tant d’années ensemble : comment se projeter quand on a 50 ou 60 ans ? Où emménager ? Comment refaire sa vie ?
Le confort de la routine
Car même si le couple ne fonctionne plus, même si les sentiments se sont évaporés, il y a un certain confort dans la routine. On connaît les habitudes de l’autre, son caractère, ses manies. Certes la magie n’opère plus, mais au moins cela fait un repère dans l’existence. Alors, par peur panique du changement et de l’inconnu, beaucoup s’accrochent et font le dos rond en attendant une hypothétique embellie.
Que faire ?
Rester en couple par peur, par confort ou par doute est rarement une bonne idée sur le long terme. Cela crée des relations toxiques et hypocrites, génératrices de frustrations et de non-dits. La solution ? Avoir le courage d’aborder LA discussion et de crever l’abcès, en toute transparence et honnêteté. Même si elle est douloureuse sur le coup, la vérité permettra à chacun d’avancer.
Bien sûr, il ne s’agit pas de divorcer à la première difficulté ! Dans certains cas, il est possible de raviver la flamme ou de traverser une mauvaise passe. C’est toute la subtilité des aléas de la vie à deux. Mais quand le dialogue est rompu, que chacun vit sa vie de son côté ou que l’indifférence s’installe, il est peut-être temps de tirer le signal d’alarme et de se poser les bonnes questions. Quitte à prendre une décision radicale pour son bien-être.